baseball Carlos Tabares

Carlos Tabares, champion de baseball et fan de Siglo VI

Par supercigare,
le 7 septembre 2017

 

Le baseball, sport national cubain, serait-il aujourd’hui en déshérence ? Nous avons posé la question à Carlos Tabares, ex-joueur vedette qui vient de raccrocher son numéro. Il se confie sans langue de bois tout en dégustant en connaisseur un nouveau Montecristo Linea 1935.

 Par Stéphane Ferrux 

Même si, aujourd’hui, les enfants dans la rue jouent plutôt au football, à Cuba, tout le monde peut parler de base-ball, car tous les Cubains ont un avis sur la question. La pelota, c’est le sport national. Carlos Tabares, le « Lynx de La Havane » vient de raccrocher en février son fameux numéro 56. Mais, s’il arrête la compétition, il déplore l’état actuel du base-ball cubain et compte bien y remédier. Il nous reçoit sur sa terrasse à La Havane.

Cigars-Connect : La couleur bleue de votre terrasse, c’est celle d’Industriales, l’équipe de La Havane ?

Carlos Tabares : Forcément ! Industriales, c’est toute ma carrière. Je n’aurais pas voulu d’une autre équipe ! Si j’avais dû jouer ailleurs, je n’aurais troqué le bleu que contre l’orange de l’équipe de Santa Clara.

C.C. : Le bleu et aussi le numéro 56…

CT. : Oui, et pourtant… Le numéro 56, qui m’a suivi pendant toutes ces années, a été celui de mon premier match et de ma première défaite. C’est mon père qui m’avait offert le maillot. J’ai été profondément déçu par cette première expérience avec le base-ball que je sentais pourtant fait pour moi. Donc, après une semaine de quasi-deuil, j’ai promis que je prendrais ma revanche et que je deviendrais un grand joueur, avec ce même numéro. Cette volonté ne m’a jamais quitté depuis. C’est ce que je veux transmettre maintenant.

Il y a eu beaucoup de 56 dans ma carrière. J’ai mis 1 956 hits [coups de batte gagnants, ndlr] en vingt-cinq ans de carrière avec mon numéro 56 et j’arrête après la 56e saison du base-ball cubain post-révolution [la première datait de 1962, ndlr].

C.C. : 56 est aussi un fameux numéro si on parle de cigare…

C.T. . : Ah oui, le Behike ! Un cigare emblématique. On a ça en commun, Cohiba et moi !

C.C. : Vous l’appréciez, ce Behike 

C.T. . : Si j’en ai l’occasion, je ne manquerai pas d’en fumer un ! Mais j’ai mes préférences parmi les Cohiba : je suis fan du Siglo IV. Comme j’aime l’amertume dans le cigare, je déguste volontiers aussi un Lanceros ou un Partagas 898. Je ne fume pas régulièrement mais tout de même assez souvent. Pour moi, déguster un cigare est synonyme de grand moment. Et le meilleur des grands moments, c’est après une victoire. On ne doit pas fumer pendant la partie, c’est le règlement, mais après, le cigare, c’est la récompense, la fête.

Je me souviens que mon père, lui, avait une drôle d’habitude. Il jouait aux dominos, toujours avec un cigare et un verre de cognac, de brandy ou de whisky à portée de main, et il laissait le cigare dans son verre entre deux bouffées. Le cigare nous a toujours accompagnés dans la famille – d’ailleurs, mon frère est torcedor

C.C. : Le sport et le cigare ne font pas très bon ménage…

C.T.  : Pourquoi pas… Ça n’a jamais affecté mes performances sur le terrain en tout cas. Probablement parce que ce n’est pas non plus une habitude régulière mais une manière de marquer les grandes occasions. Les célébrations comme les négociations. Fumer un cigare, ça aide à penser !

C.C. : Le base-ball cubain est un sport amateur. Qu’est-ce que cela signifie 

C.T. . : Principalement que Cuba ne participe pas aux championnats des grandes ligues, comme celles des États-Unis. Après l’arrivée de Fidel en 1959, Cuba a choisi de ne plus jouer en professionnel pour construire le sport pour tous. Le base-ball devait avant tout rester un jeu. Et même si les joueurs reçoivent un salaire mensuel comme des fonctionnaires, nous sommes devenus des « amateurs » aux yeux du reste du monde.

C.C. : Vous avez été champion mondial en Italie en 1998, puis à La Havane en 2003, champion olympique à Athènes en 2004, vous avez obtenu six titres de champion national avec l’équipe d’Industriales… Où en est le base-ball cubain aujourd’hui, alors que vous venez de vous retirer de la compétition ?

C.T.  : Le base-ball cubain est en retard sur le reste du monde. Depuis environ sept ans, nous sommes à la traîne. Il nous faut retrouver notre niveau d’il y a dix ans. Personne à Cuba ne peut lancer à 95 millas [à environ 135 km/h, ndlr]. C’est dû en partie au manque d’échanges avec d’autres pays, d’autres ligues. Les Cubains ne peuvent pas rejoindre les grandes ligues comme les ligues américaines sans abandonner leur pays, déserter. Mais intégrer de plus petites ligues, comme les équipes mexicaines ou portoricaines, serait déjà un grand progrès – c’est en cours. Nous devons lancer différemment mais aussi penser différemment. Les joueurs ne veulent pas abandonner leur pays, ils veulent seulement jouer dans des conditions correctes et avoir l’espoir de faire partie des plus grands, comme tout athlète.

C.C. : Que s’est-il passé il y a sept ans ?

C.T.  : C’est le moment où le pays, et pas seulement le sport, a commencé à changer. Les jeunes aspirent à autre chose. La politique, la discipline et même les médailles ne leur suffisent plus. Ils veulent être en phase avec leur temps, avec les autres sportifs dans le monde, appartenir à ce monde.

C.C. : C’est plutôt positif, non ?

C.T.  : Certainement ! Mais Cuba n’y est absolument pas préparé. Et notamment nos dirigeants du sport, qui restent campés sur leurs vieilles méthodes, et sans les moyens que nous avions il y a dix ans. Aujourd’hui, nous n’avons même pas de battes à offrir aux jeunes, ils doivent les trouver eux-mêmes, sans parler des uniformes… Même le régime alimentaire n’est pas bon : trop de sauce, trop de graisses, rien d’adapté à des athlètes modernes. Les joueurs cubains sont trop gros ! Il faudrait un collectif de dirigeants capables, des gens qui connaissent les préoccupations des joueurs, pour leur formation, leurs conditions matérielles, leurs envies de compétition… Cela fait sept ans que Cuba n’obtient aucun résultat international.

 

C.C. : Aujourd’hui, les jeunes Cubains jouent plutôt au football qu’au base-ball dans la rue.

C.T.  : C’est exact, et pour les mêmes raisons. C’est à cause de règles obsolètes qui interdisent par exemple de diffuser à la télévision les matches des grandes ligues parce qu’y apparaissent des joueurs cubains qui ont quitté le pays. En revanche, on peut suivre tous les championnats de football, donc forcément, les jeunes, c’est avec le football qu’ils s’identifient.

 

C.C.: Et si vous deveniez demain dirigeant de l’INDER*, quelles seraient les premières mesures que vous prendriez 

C.T. : J’en ai toute une liste, déjà prête… La base, c’est le matériel pour jouer. Il faut maintenir la motivation des jeunes et garantir le matériel – les battes, les balles, les uniformes. Nous n’avons que très peu de moyens, surtout depuis la rupture du contrat avec Adidas (Jusqu’en 2012, Adidas était le sponsor principal de l’équipe nationale du Comité olympique, fournissant tous les membres de l’équipe olympique cubaine avec des vêtements pour la compétition et l’entraînement NDLR) Or, nos dirigeants ne font que demander des résultats mais ne se préoccupent pas de savoir comment on pourrait les obtenir ! Même si aujourd’hui les athlètes cubains touchent un salaire en fonction de leurs performances, cela ne suffit pas, pour la bonne raison qu’ils perdent tout une fois à la retraite. Il faut publiquement expliquer qu’un athlète peut avoir des avantages : une voiture, une maison, un salaire même une fois à la retraite, et on arrivera à motiver les jeunes générations, simplement et naturellement en leur signifiant qu’il existe un futur à Cuba, et pas seulement en dehors. Il faut que l’élite du sport cubain gagne une reconnaissance publique pour motiver les vocations.

C.C. : Et ensuite ?

C.T.  : Ensuite, la stratégie. Nous ne savons pas travailler la stratégie, nous ne disposons d’aucune technique de comparaison car nous sommes trop isolés. Simplement pouvoir travailler sur les vidéos des matchs des grandes équipes serait un élément important de l’enseignement. Les jeunes utilisent leurs téléphones pour n’importe quoi : ils pourraient les utiliser pour se filmer entre eux et ainsi améliorer leur technique !

C.C. : Vous pensez que vous pourriez changer le cours des choses ?

C.T.  : Bien sûr ! J’ai repris des études pour cela, je passe un doctorat en enseignement du sport en ce moment, et je ne suis pas tout seul : d’autres grands joueurs partagent mes préoccupations. Ils sont prêts tout comme moi à travailler dur et à utiliser leur notoriété pour que le base-ball cubain recouvre son prestige.

Organiser la relève et la formation compte parmi les mesures urgentes et primordiales. Les équipes sont fatiguées de devoir se battre pour la moindre chose, comme trouver une batte pour jouer. Aujourd’hui, les plus grands joueurs, et le public aussi, sont préoccupés par la relève : les jeunes sont rares et quittent Cuba, complètement démotivés. Il n’y a pas de professeurs parce qu’il n’y a pas de salaire décent pour les rémunérer. Ce n’est pas le manque de personnel compétent qui fait défaut, c’est simplement une affaire de motivation.

C.C.: Que vous manque-t-il pour commencer ?

C.T. : Le nerf de la guerre bien sûr, c’est l’argent, mais surtout, il nous faut changer les mentalités de nos dirigeants. L’État, l’INDER ne peuvent pas demeurer ce qu’ils étaient au temps de Fidel. Le sport est un business, qu’on le veuille ou non. Et, sans pour autant adopter les méthodes des contrats millionnaires, un peu d’aide extérieure nous permettrait de concrétiser de petites réformes. Nous avons le principal : le talent, la capacité et la technique de travail, le vivier de champions. Sortir de notre isolement, c’est la clé pour que perdure la tradition de la pelota cubana.

* L’INDER (Instituto nacional de deportes, educación física y recreación, Institut cubain du sport, de l’éducation physique et des loisirs) est l’organisme en charge de la politique sportive à Cuba. Son président est l’équivalent de notre ministre des Sports.