acreté

D’où vient l’âcreté ?

Par supercigare,
le 18 janvier 2018

Elle a presque disparu du spectre de nos sensations mais les amateurs la connaissent bien car le cigare est son dernier bastion. Qu’est-ce que l’âcreté ?

Par Bernard Burtshy

Il ne faut pas confondre l’âcreté avec l’amertume, très fréquente dans le cigare : elle n’en est qu’une composante.

L’amertume est une des quatre ou cinq saveurs fondamentales, aux côtés du sucré, du salé, de l’acidité et de l’umami, pour les Japonais, voire du brûlé, pour les Chinois. Elle est moins à la mode depuis une vingtaine d’années et, de ce fait, a largement disparu dans notre alimentation: ni les endives ni les pamplemousses ne sont plus amers et les apéritifs jouant l’amertume, comme la Suze, sont totalement démodés.

Pourtant, l’amertume reste fondamentale dans le cigare, car elle est directement liée

à la feuille de tabac et à son terroir. Goûtez à peu près n’importe quelle feuille dans la nature et vous verrez qu’elle est amère. Certes, le dessèchement, pour la cigarette, ou la fermentation, pour le cigare, leur font perdre en partie cette saveur.

L’âcreté : un composé d’amertume et de verdeur

Le vecteur principal de l’amertume dans le cigare est l’acroléine, directement issue de la combustion de la feuille de tabac et toxique à doses importantes. Autre facteur d’amplification de l’âcreté, la verdeur. Après les deux fermentations le cigare est chimiquement neutre, contrairement à la cigarette dont le séchage de la feuille laisse une acidité redoutable. Mais à l’allumage, en raison d’une combustion qui n’a pas encore atteint son point d’équilibre, une petite âcreté se fait jour. Elle est d’autant plus importante que le cigare est jeune, un peu trop « vert ». Une humification excessive, un peu pour les mêmes raisons puisqu’elle abaisse la température de combustion, conduit aussi à un peu d’âcreté. Mais celle-ci fait partie du jeu.

A la recherche du nœud…

D’où vient alors l’âcreté excessive d’un cigare ? En général de la formation d’un noeud dû à un mauvais écôtage de la feuille. Écôter une feuille de tabac consiste à enlever la nervure centrale. S’il reste un peu de cette nervure – ou si une nervure secondaire est un peu trop grosse –, elle forme un petit étranglement qui s’obstruera peu à peu avec l’accumulation des goudrons. Au début, le cigare deviendra amer, puis, très vite, avec la verdeur de la nervure, âcre par combustion de l’accumulation d’acroléine.

« Âcreté » : ce vieux mot de la langue française est aussi utilisé pour la dégustation du kaki, de la nèfle ou de la prunelle quand ces fruits ne sont pas assez mûrs. Les statistiques en indiquent une utilisation continue depuis le début du xvIe siècle avec un apogée vers 1850. Puis le terme est presque tombé en désuétude car entre-temps, diverses techniques, comme le greffage des fruits, avaient permis de faire disparaître l’objet du délit. Aujourd’hui, les cafés âcres, avec un mélange de goûts à la fois acides et âpres, sont devenus rares, tout comme les thés âcres trop infusés. Même la maladie de l’amertume du vin, qui venait de la dégradation du glycérol par des bactéries lactiques avec formation d’acroléine, n’existe quasiment plus. Le dernier bastion de l’âcreté est le cigare. Face à une âcreté insupportable, la solution la plus radicale est de trancher dans le vif, en cherchant à tâtons où se situe le noeud en cause, puis en le sectionnant. Mais d’autres continueront à tirer doucement sur leur vitole, sans jamais s’énerver, pour disséquer l’intrus à la manière de l’entomologiste. Et comprendre l’acroléine.