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Du sel dans mon cigare ?

Par supercigare,
le 10 avril 2017

Non, il ne s’agit pas d’une dernière expérience farfelue, il y a bien du sel dans vos cigares mais aussi dans votre vin… Explications

 Par Bernard Burtshy

 

LE GOÛT SALÉ est l’une des quatre saveurs de l’alimentation (ou des cinq, avec l’umami japonais) et le sel est précieux depuis toujours.

 

Le sel a été longtemps l’unique conservateur des aliments. Indispensable à l’homme comme au bétail, c’est aussi un formidable exhausteur de goût. Columelle, le célèbre agronome romain, conseille même d’en mettre dans le vin, à la fois pour le conserver et pour en améliorer le goût. Mais cette stratégie est dénoncée par le célèbre professeur Émile Peynaud, auteur du plus célèbre manuel de dégustation (Le Goût du vin, Dunod, 1980) : « La pratique ancienne du salage, actuellement interdite, a peu de justification technique. » Tout au plus concède-t-il que les sels « participent à la saveur du vin et lui donnent de la fraîcheur ».

 

DU SEL DANS LE VIN

 

Évidemment, dans ces conditions, il n’est pas étonnant que la saveur salée du vin soit négligée et même niée. On n’en fait mention dans aucun manuel de dégustation. Mais, depuis Peynaud, de l’eau est passée sous les ponts et des recherches récentes changent la donne. Sans entrer dans la polémique sur les rapports entre terroir et raisin, disons qu’ici, le sel est apporté très pragmatiquement par les embruns sur la peau des raisins et qu’il se retrouve mécaniquement dans le vin.

 

Le vin est composé à 85 % d’eau et cette eau est chargée de sels minéraux – tout comme le corps humain qui contient 20 % d’eau salée. Une étude de 2008 a montré que la quantité de ces minéraux varie selon le cépage, le millésime, le lieu de production, l’âge des vignes, le porte-greffe. Un vin contient de 2 à 4 g par litre d’éléments à saveur salée sous forme d’anions et de cations dont on commence seulement à mesurer l’importance dans la dégustation.

 

UNE EXPÉRIMENTATION NOUVELLE

 

La sensation salée la plus pure provient du sodium, plutôt rare dans le vin, mais aussi et même surtout des sels minéraux (potassium, magnésium, calcium). Diverses expériences montrent que les quantités présentes de ces sels peuvent varier d’une manière importante selon les millésimes (un châteauneuf-du-pape 2007 est plus salé qu’un 2003) et bien d’autres paramètres. Les faits expérimentaux s’accumulent et les dégustateurs affinent leurs perceptions dans ce champ tout neuf où tout est encore à structurer – cette discipline pourrait d’ailleurs enfin permettre de mesurer l’effet du terroir sur le vin, tarte à la crème pour beaucoup mais que les dégustateurs les plus affûtés commencent à bien saisir.

 

ET LE CIGARE ? 

 

Si les études sont encore moins avancées que dans le monde du vin, il est cependant clair que les mêmes causes produisent les mêmes effets sur la feuille du tabac que sur le raisin. Certes, la feuille passe par la case fumée, mais les sels minéraux ne disparaissent pas dans cette phase et ils se retrouvent dans la cendre avec une saveur d’autant plus fine que le cigare est dénué d’acidité, contrairement à la cigarette. Les avancées très fécondes des quinze dernières années montrent qu’il faut dorénavant ajouter une nouvelle rubrique dans les fiches de dégustation. Dans le vin, reconnaître l’existence de cette composante salée permettrait enfin de préciser la notion qu’utilisent beaucoup d’amateurs d’aujourd’hui, celle de minéralité, notion très floue trop souvent confondue avec l’acidité, d’autant que les deux saveurs sont détectées par le même canal ionique. De quoi mettre un peu de sel dans les discussions animées des dégustateurs de vin comme de cigares, où chacun mettra son grain de sel, bien sûr !