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Joël Dupuch : L’huître, ce n’est pas du cinéma !

Par supercigare,
le 5 avril 2018

Son rôle dans Les Petits Mouchoirsde Guillaume Canet l’a rendu célèbre mais l’ostréiculteur star du bassin d’Arcachon garde les pieds dans l’eau grâce à une philosophie où le cigare occupe une place de choix.

Par Jean-Pierre Saccani

Avec sa carrure de colosse, son accent chantant du Sud-Ouest et son caractère bien trempé, Joël Dupuch est sans conteste l’ostréiculteur le plus populaire de France. Son rôle de vieux sage dans Les Petits Mouchoirsde Guillaume Canet n’y est pas pour rien. Il le reconnaît d’ailleurs bien volontiers : le cinéma lui a apporté une notoriété « grand public ». En souffre-t-il ? « Non, je n’ai jamais été ennuyé, quelques personnes veulent parfois juste poser avec moi pour un selfie. Si les quinze secondes que cela me demande suffisent pour leur faire plaisir… »

Plaisir… Le grand mot est lâché, rajoutons « bonheur » et nous aurons les deux jambes sur lesquelles s’appuie Joël Dupuch pour avancer dans la vie. Deux notions chères aux amateurs de cigares, une confrérie à laquelle il appartient naturellement. « J’ai découvert le cigare à l’âge de dix-huit ans. Nous étions en 1974, l’époque des Montecristo N° 1et des Châteaux Margaux de Davidoff… », souligne-t-il, calé dans le canapé de sa maison des Jacquets (sur la presqu’île du Cap Ferret) dont la terrasse surplombe la plage. Une vue de rêve immortalisée dans Les Petits Mouchoirs

Embrasser la mer

Au début des années 1970, à l’âge de vingt et un ans, Joël Dupuch est ostréiculteur, comme toute sa famille depuis six générations. Son objectif : produire et encore produire. Jusqu’à sa rencontre avec Jean-Marie Amat, le maestro de la cuisine aquitaine, qui l’incite à « donner du sens » à son travail. Un conseil qui n’est pas tombé dans l’oreille d’un sourd. Depuis, sa marque de fabrique repose sur « de la longueur en bouche avec des saveurs légèrement beurrées mais iodées et avec du sel car, avaler une huître, c’est embrasser la mer ! ».

Son Churchills  de Romeo y Julieta terminé, Joël Dupuch allume un cigarillo de Punch qu’il achète en Espagne et dont il a toujours une boîte à portée de main. « Le parallèle entre le cigare et l’huître est évident. Les deux appartiennent au monde de l’agriculture. Ce sont des métiers d’espoir, nous sommes, les uns comme les autres, tributaires de la météo. Le vegueroespère avoir des bonnes feuilles avant de les choisir pour sa liga. Je fais la même chose avec les huîtres que je collecte dans toute l’Europe, des creuses en l’occurrence, adaptées à des mers plus chaudes, le cas du bassin d’Arcachon. Contrairement aux plates qui s’épanouissent dans des eaux plus froides, en Normandie ou en Bretagne. Nous les passons ensuite au tapis pour les sélectionner en fonction de leur taille, de leur forme et de notre ressenti puis nous les élevons dans nos parcs entre 42 et 60 mois. Certaines deviennent du très haut de gamme, du haut ou du moyen de gamme et d’autres, déclassées, sont revendues à d’autres producteurs qui n’ont pas forcément la même exigence de qualité. »

« Si un emmerdeur te donne un cigare, il risque de ne pas être très bon »

Populaire, Joël Dupuch l’est aussi sans doute grâce à sa philosophie de jouisseur de l’instant. « Quand il est beau, il ne faut surtout pas le gâcher. Entre une bonne affaire et un bon moment, je choisis toujours ce dernier parce que je ne suis pas certain qu’il se représentera, contrairement à la bonne affaire. Sinon, une rencontre m’a beaucoup marqué. Il y a des années, je m’arrête à Nantes pour une soirée cigare chez Gérard Voisin, un sculpteur qui vit dans un ancien relais de postes. Un vrai collectionneur de cultures également. Il avait rassemblé toute une série d’ouvrages et de documents sur l’huître, dont certains que je ne connaissais pas alors que je pensais avoir fait le tour de la question… Le lendemain, il m’offre cette collection incroyable. Je refuse mais il me dit alors : “Les choses sont faites pour appartenir à ceux qui les font vivre.” C’est devenu une ligne de conduite, acquise grâce au cigare et aux rencontres qu’il génère. »

Pour la star du bassin d’Arcachon, que l’on devrait d’ailleurs retrouver dans le prochain film de Guillaume Canet, le cigare reste un accessoire du plaisir, un créateur de relations entre les hommes. Et peu importe la vitole finalement. « Aujourd’hui, je fume de tout, des saint-domingue, des honduras, mais j’ai éduqué mon goût avec le havane. Je suis orthodoxe dans mes habitudes, me retrouver à Saint-Germain-des-Prés me pousse par exemple vers le D4, tout simplement parce qu’un ami filait toujours en acheter au Québec [une civette du 6earrondissement, ndlr] lorsque nous dînions chez Lipp. » À chacun sa madeleine de Proust ! Un mot pour finir ? « Le produit n’est qu’un accessoire du moment, tu ne trouves le graal qu’en étant heureux. Si un emmerdeur te donne un cigare, il risque de ne pas être très bon : le stress rend tout plus amer alors que le bonheur rend tout plus sucré et doux. » CQFD.