Marx

Le cigare “Série noire” de Thierry Marx

Par supercigare,
le 1 février 2018

Le chef pluri-étoilé et multi-toqué du Mandarin Oriental signe aujourd’hui, avec la scénariste et romancière Odile Bouhier, le premier « polar moléculaire », où la cuisine joue un rôle majeur. L’occasion rêvée pour une rencontre autour d’un cigare.

Ça chauffe en cuisine. Il est onze heures du matin. Il faut que tout soit prêt pour le déjeuner. C’est la fashion week, le restaurant affiche complet. Aucune inquiétude, la machine est bien rodée, huilée, et le chef vigilant. Au patio, en revanche, avec son mur végétal conçu par Patrick Blanc, tout est calme, zen. On se croirait presque au Japon, le pays de cœur de Thierry Marx, où il possède maintenant, à Tokyo, une boulangerie et un bistrot et où il a passé « vingt-deux années d’itinérance », étudiant le bouddhisme shintoïste et le bûshido, le code d’honneur des samouraïs.

Le cigare-bibliothèque

Il y a en effet du samouraï chez cet adepte des arts martiaux, un côté baroudeur (en 1980, il a été casque bleu au Liban, puis a combattu dans les Phalanges chrétiennes) qui a lutté pour sa survie, le tout pondéré par une forme de sagesse, un hédonisme bien tempéré. Bien qu’il soit maintenant « chef d’entreprise », il ne pose pas au débordé, parle d’une voix paisible et n’aime rien tant qu’avoir du temps pour rêver, créer, dans des domaines différents. La cuisine, à laquelle il est venu « très tard, vers vingt-cinq ou vingt-six ans », n’est qu’une partie d’un tout complexe, le sommet du Fuji-Yamarx.

Selon lui, la vie est avant tout une affaire d’initiation, puis de transmission. Pour le cigare, par exemple : « C’est Michel Portos qui m’a initié au D4, vers 1995-1996. Ensuite, je n’ai fumé que des Ramon Allones. Puis j’ai ralenti. Où peut-on fumer maintenant ? Je pratique le “cigare-bibliothèque” chez moi, le cigare “Série noire” en lisant un polar – Manchette, toujours. » De là à en écrire un, il n’y avait qu’un pas.

Mais un polar bien particulier, « moléculaire », comme la cuisine du maître, dont il dit : « Elle est simple : un produit et trois gestes. Le geste, le feu, le temps, tout est là. »

Une blanquette suspecte…

Thierry Marx l’ambidextre, qui « aime écrire, dessiner en fumant », a eu « l’idée de base » d’On ne meurt pas la bouche pleine. Et il s’est associé à une amie, Odile Bouhier, scénariste, déjà auteur de romans policiers historiques, pour inventer le héros – Achille Simmeo, un vieux flic cabossé par la vie, misanthrope mais excellent limier, esthète et fin connaisseur du Japon – et bâtir le plan de son enquête, qui pourrait bien être sa dernière. Le point de départ : en France comme dans leur pays, des Japonais meurent empoisonnés par une substance indécelable, avec toutes les apparences d’un décès naturel. Ils n’ont rien à voir ensemble, a priori, sauf qu’ils appartiennent tous à la même famille de yakuzas, le clan Santoka. Simmeo, « ce gros blaireau qui a du pif, de la maturité » résoudra l’énigme, bien sûr, mais reviendra-t-il de Tokyo après qu’il aura dégusté une singulière blanquette ?

Même si tout est plausible, le chef, qui a créé à Orsay un laboratoire de recherches sur les molécules, s’est visiblement bien amusé. « Bien sûr, certaines substances banales, dans les aliments, peuvent tuer. C’est une question de connaissance et de dosage. Mais, dans le livre, on a poussé le bouchon un peu loin, exprès. » La recette de blanquette de Thierry Marx – qui se dit « flexitarien mais très tenté par le véganisme » et travaille donc quand même le veau –, largement revisitée, figure en annexe à la fin du livre. Elle est particulièrement coton, mais inoffensive, et même excellente. Il en a cuisiné 20 kilos pour les invités de sa soirée de lancement, le 26 octobre. Aucun décès suspect n’a été signalé depuis.

Jean-Claude Perrier

Photo : Luc Monnet

Thierry Marx et Odile Bouhier, On ne meurt pas la bouche pleine, Plon, 360 p., 18 euros