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Sécheresse historique en République dominicaine

Par annie lorenzo,
le 28 octobre 2019

La récolte 2018-2019 a été amputée de 30 % par rapport à la saison précédente en raison de la météo. Si certains producteurs font même une année blanche, les grandes maisons de cigares premium s’en sortent mieux.

par Yvonne Alcántara, correspondante en République dominicaine

Il n’a pratiquement pas plu en République dominicaine depuis un an. Dans la province de Santiago de los Caballeros, au nord du pays, où se concentre plus de 50 % de la production nationale de tabac, a de nombreux producteurs de tabac ont souffert de cette sécheresse. Pour certains, il n’y a carrément pas eu de récolte.

En temps normal, les producteurs de Villa González, à 15 km à l’ouest de Santiago, récoltent entre 7 000 et 10 000 quintaux de tabac destiné aux cigares faits main. Mais en 2018-2019, peu de plants ont été repiqués et ceux qui se sont risqués à le faire ont perdu leur temps et leur argent.

« Il n’y avait pas d’eau au moment de planter, ni ensuite pour arroser, il ne pleuvait jamais », raconte José Luis Santos, un jeune producteur de la région qui vend sa production à la Tabacalera Quisqueya. Un plant de tabac n’a pas besoin de beaucoup d’eau pour prospérer, explique-t-il, mais il a besoin de pluies au bon moment, ou, à défaut, d’un arrosage occasionnel au cours des cinq ou six mois que dure sa croissance.

En République dominicaine, la culture de tabac commence en octobre avec la plantation et se termine en février lorsque les producteurs livrent les feuilles séchées aux fabricants. Selon les données officielles de l’Institut du tabac de la République dominicaine (Intabaco), 60 % du tabac produit est cultivé « en conditions pluviales », autrement dit sans irrigation, ce qui signifie que les longues périodes de sécheresse ont des conséquences très graves sur la récolte au niveau national.

Un drame pour les petits producteurs

La sécheresse a ainsi empêché cette année l’exploitation de 2 500 ha sur les 7 500 prévus pour la saison. Et elle est intervenue après trois récoltes elles aussi difficiles pour le secteur du tabac dominicain : la saison 2015-2016 avait également été touchée par la sécheresse (de moindre ampleur), tandis que la récolte 2016-2017 avait été marquée par les pluies les plus abondantes des cent dernières années.

« Quelle perte ! se lamente Berto Antonio Caba, un autre petit producteur. La sécheresse, c’est la même pour tout le monde, c’est une question de nature, mais elle a été très forte cette année. » Assis sur la terrasse de sa maison, à l’abri du chaud soleil des Caraïbes, l’agriculteur de soixante-huit ans raconte n’avoir jamais vu une telle pénurie de pluie. Il a planté 4,5 ha cette année, mais tout a séché. « Il y a eu d’autres sécheresses par le passé, mais on a semé quand même, et on a tenu, continue-t-il. Cette année, ce n’était même pas possible de semer. » Dans son secteur, autour du village de Palmarejo, au moins 18 ha ont été perdus.

Il est maintenant endetté, comme presque tout le monde dans la région. La production de tabac à Villa González, dont l’économie en dépend à 95 %, est en effet dominée par de petits agriculteurs tels que Caba, qui louent des terres à cultiver et perçoivent des avances des grandes manufactures de cigares, comme à-valoir sur la récolte. « Je dois plus de 250 000 pesos [environ 4 000 euros, ndlr], je ne sais pas comment je vais payer, la manufacture voulait que je plante à nouveau, mais je ne sèmerai pas, même si mon père ressuscite ! » conclut-il avec emphase.

Pas d’irrigation

Rubi Álvarez – que tout le monde surnomme Monchito – préside l’Association des cultivateurs de tabac de la vallée de Cibao, qui regroupe 585 membres. Il explique que les pertes ont été très importantes car, outre les aléas climatiques, la région souffre de l’état du canal d’irrigation : en raison de l’absence d’un système de pompage pour acheminer l’eau vers la terre, « cela fait cinq ans que le canal d’irrigation ne sert plus à rien ».

Mais cette année, après négociations, les cultivateurs ont obtenu une visite sur place du président dominicain, Danilo Medina, qui leur a promis de réparer le canal. Ils espèrent, avec un canal fonctionnel, augmenter leur production . « Si nous résolvons ce problème d’irrigation, il y aura du tabac l’année prochaine », déclare Álvarez avec optimisme. Mais c’est loin d’être aussi simple. La sécheresse prolongée a fait descendre à des niveaux critiques les barrages du pays qui alimentent les canaux d’irrigation, ce qui a conduit les autorités à restreindre la quantité d’eau destinée aux cultures pour donner la priorité à la consommation humaine.

Les premiums épargnés

Hendrik Kelner, maître assembleur de Davidoff et président de l’Association des producteurs de cigares de la République dominicaine (ProCigar), reconnaît qu’il s’agit de la plus longue et de la plus sévère sécheresse dont il se souvienne. Mais pour lui, tout n’a pas été négatif. « Dans les zones dotées d’un système d’irrigation, nous avons obtenu un tabac de grande qualité et de bons rendements. Une année sèche est préférable si vous avez assez d’eau pour irriguer, car lorsqu’il pleut beaucoup, il y a beaucoup de maladies, la mortalité des plants augmente et le tabac a peu de corps. La plupart des champs destinés aux cigares faits à la main sont dotés de systèmes d’irrigation », explique Kelner, dont la société a pour politique de ne pas planter de tabac dans les zones sans irrigation.

Il ajoute que ses producteurs ont obtenu « un excellent tabac, avec une production par hectare supérieure de 20 % à la moyenne des trois dernières années, ce qui signifie de meilleurs bénéfices ». El maestro estime qu’au niveau national, il y aura bien une baisse de 15 %, mais avec des feuilles de bonne qualité. Toutefois, il reconnaît que « plus de 70 % des producteurs du tabac destiné aux cigarettes et aux cigares faits machine ont subi une perte considérable car ce tabac est semé sans irrigation ».

Kelner assure que la baisse de la récolte 2018-2019 n’aura pas d’incidence sur la production de cigares destinés à l’exportation d’ici 2019, « parce que les grandes maisons membres de ProCigar ont pour politique de disposer de stocks supérieurs à trois ans ». « Chez Davidoff, souligne-t-il, nous avons cinq ans de stock de tabac dominicain. »

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—-> Des conditions météo de plus en plus extrêmes ?

En République dominicaine comme à Cuba, au Nicaragua ou au Honduras, tous les producteurs constatent, depuis vingt à trente ans, des modifications du climat, avec une donnée cruciale pour la culture du tabac : la baisse de la pluviométrie moyenne. La hausse des températures, plus modérée qu’aux pôles, n’est en revanche pas un facteur d’inquiétude majeur. « Le climat devient plus extrême, et il devient compliqué de faire des cigares », expliquait Maya Selva (Flor de Selva, Cumpay, Villa Zamorano) dans une enquête réalisée il y a quatre ans (voir L’ADC, n° 108).

Mais des solutions existent, notamment l’irrigation – qui demande des moyens techniques et financiers dont tous les cultivateurs ne disposent pas, comme le montre l’exemple dominicain.

À plus long terme, les chercheurs (notamment à l’Institut de recherche sur le tabac à Cuba et autour de Néstor Plasencia au Honduras) travaillent aussi sur une amélioration génétique pour adapter les plants à l’augmentation du stress hydrique, tout en préservant leurs qualités organoleptiques.