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Volutes tranquilles au Luxembourg

Par La rédaction,
le 14 janvier 2021

Les habitants du Grand-Duché pratiquent aujourd’hui le cigare avec sérénité et nonchalance même si l’on compte parmi eux des « fumeurs de bagues », comme partout. Escapade, le temps d’un week-end, dans ce petit pays qui s’est emballé pour les puros il y a quarante ans – une passion à laquelle Zino Davidoff n’est pas étranger.

 

Jean-Pierre Saccani

 

L’épouse du grand-duc Henri de Luxembourg est cubaine. Est-ce pour cela que ce petit pays montre un appétit certain pour les puros, comme le prouvent ces deux Casas del Habano distante d’une vingtaine de kilomètres à peine ? Non, en réalité, María Teresa Mestre, dont la famille issue de la haute bourgeoisie hispano-cubaine a fui l’île lors de la révolution castriste en 1959, n’y est pour rien… Tout a commencé il y a plus de quarante ans à Luxembourg, avec un certain Zino Davidoff.

Le maître suisse est alors de passage dans la capitale de ce petit État bordé par la France, la Belgique et l’Allemagne, à la recherche d’une civette susceptible de distribuer ses prestigieux Châteaux. C’est ainsi qu’il pousse la porte de l’établissement tenu par Romain Terzi, un passionné de cigares, le premier à avoir ouvert une civette dans le pays. Entre les deux hommes, le courant passe vite, ils se lient même d’amitié, et Zino choisit tout naturellement Romain Terzi pour le représenter dans cette contrée prospère où, si on a de l’argent, on ne l’affiche pas.

Terzi, la civette historique du Grand-Duché, tenue par Richard Terzi se trouve à la lisière de la capitale (photo : Luc Monnet) 

 

Le succès des Davidoff aidant, Romain Terzi s’agrandit, sa civette déménage à Strassen, à la lisière de la capitale. Et c’est aujourd’hui dans les mêmes murs que son fils Richard poursuit l’œuvre paternelle, entouré de sa mère et de sa sœur. « C’est mon père qui m’a formé au goût du cigare », déclare-t-il dans son vaste humidor où trône une photo dédicacée de Zino Davidoff, présent le jour de l’inauguration de l’établissement. Bénéficiant du label Habanos Specialist, il accorde néanmoins une belle place aux autres terroirs : Honduras, Nicaragua, République dominicaine. « Nous assistons depuis quelque temps à l’arrivée d’une nouvelle clientèle âgée de trente à quarante ans qui aime les tabacs pas trop forts et les vitoles à la régularité exemplaire, deux qualités que l’on retrouve dans les nouveaux terroirs. Mais cela ne veut pas dire que Cuba passe au deuxième rang, bien au contraire ! »

Côté Cuba, les Luxembourgeois sont gâtés, il faut le dire. Notamment avec les cigares Aged, une gamme de cigares vintage introuvable en France. « Ces boîtes partent vite », souligne Richard Terzi en souriant.

 

Des bijoux de havanes

Ses confrères confirment, à l’instar de Jean-Claude Reichling qui dirige la Casa del Habano de la ville de Luxembourg. Il y a quelques décennies, intrigué par un vieux monsieur qui déjeunait en dégustant un double corona, il essaie un Davidoff. Il a, depuis, le cigare chevillé au corps, au point de transformer une bijouterie rachetée par son père en civette.

Vingt-sept ans plus tard, sa Casa del Habano ne vend que des havanes dont de nombreuses vitoles prestigieuses – Cohiba, Trinidad… – qui partent comme des petits pains. Sa clientèle est-elle pour autant bling-bling ? « Absolument pas, ce sont de vrais amateurs, de toutes générations », témoigne-t-il en humant un splendide cabinet de cinquante Lusitanias de Partagás. Effectivement, les amateurs qui profitent de la petite terrasse de l’établissement n’ont rien de « fumeurs de bagues ». Tout le monde discute, sans forcément se connaître, en commentant son achat du jour. Une ambiance bon enfant qui donne envie de s’attabler en regardant s’égrener le temps.

 

Une clientèle chinoise contingentée

Avec leurs allocations plus fortes et leurs exclusivités, les Casas del Habano attirent la clientèle, les Chinois notamment. « Je suis obligé de contingenter leurs demandes, sinon, certains seraient capables d’acheter vingt-cinq boîtes d’Esplendidos d’un coup ! », s’exclame Jean-Claude Reichling. À 37 euros la pièce, la facture s’élèverait à 23 125 euros… Même son de cloche chez son homologue Michaël Karmann, qui préside aux destinées de Jeff & Co. Installée à Mondorf-les-Bains, une petite ville thermale située juste à la frontière française, cette civette qui bénéficie du label Casa del Habano depuis deux ans propose aussi un fumoir et une terrasse pour les beaux jours.

« Avant d’être une Casa del Habano, nous proposions aussi d’autres terroirs, sans grand succès. Nos clients choisissaient un ou deux cigares mais ils ne revenaient pas et n’achetaient jamais de boîtes entières. Entre-temps, les prix ont aussi fortement augmenté, sans explications, alors que les Cubains se maintenaient malgré certains problèmes de qualité bien connus. Nous avons donc accepté la proposition de Cubacigar [importateur exclusif des havanes au Benelux, ndlr] de devenir une Casa del Habano », raconte Michaël Karmann.

 

Les pénuries sont rares

Cet épicurien qui met un point d’honneur à servir ses havanes en gants blancs, en hommage à « la noblesse du produit », nous rappelle aussi que, avec sa population cosmopolite et à fort pouvoir d’achat, le Luxembourg, malgré ses 600 000 habitants, vend aujourd’hui autant de cigares que les Pays-Bas (17 millions d’habitants) ! Est-ce en raison de tarifs attractifs ? Contrairement à une croyance bien établie, les havanes ne sont pas beaucoup moins chers au Grand-Duché qu’en France. Si différence il y a, elle n’est jamais spectaculaire (rien à voir avec Andorre). Certaines références sont même légèrement plus chères comme le 8-9-8 de Partagás (16,40 euros contre 15,80 euros) ou le Churchills de Romeo y Julieta (19,60 euros contre 18,60 euros).

Michaël Karmann, à la tête de Jeff & Co, met un point dhonneur à servir en gants blancs (photo : Luc Monnet) 

 

En revanche, la différence est marquée sur les vitoles en provenance des autres terroirs. Un Arturo Fuente Opus X Robusto est ainsi à 27 euros au Luxembourg contre 42,50 euros en France ! Mais cet écart spectaculaire ne concerne pas tous les cigares : il est généralement de quelques euros, les prix étant fixés par les importateurs avant que l’État n’appose sa bandelette fiscale (17 % de TVA) qui indique le prix sur chaque cigare avant livraison aux civettes.

Au-delà des tarifs, l’avantage de faire le voyage du Luxembourg réside plutôt dans les stocks engrangés par les civettes, des eldorados pour collectionneurs où les pénuries sont rares (sauf pour les Behike). C’est l’occasion aussi de découvrir un petit État bucolique où les amateurs sont sans doute moins stigmatisés qu’ailleurs. La preuve avec cette inconnue croisée sur la terrasse de Jean-Claude Reichling qui, lorsqu’elle est en ville, fait le détour pour venir humer l’odeur des cigares en train de se consumer sur la terrasse, alors qu’elle n’a jamais fumé…

 

Aged Habanos, une exclusivité du Benelux

Cubacigar, importateur exclusif des havanes dans les trois pays du Benelux, propose des cigares aged, autrement dit vieillis dans ses entrepôts humidifiés. Comme les Cubains l’autorisent dans le cadre de ce que Habanos S.A. appelle les « initiatives locales », les distributeurs peuvent réserver un certain nombre de boîtes, puis les remettre sur le marché après plusieurs années de vieillissement.

Pour Cubacigar, le vieillissement minimum est de trois ans. Les prix sont alors augmentés d’environ 4 % par année de vieillissement par rapport au prix initial de la référence. L’augmentation peut même aller jusqu’à 10 % par année de vieillissement lorsqu’il s’agit d’Éditions limitées.

C’est un concept assez proche des Añejados proposés régulièrement par Habanos S.A., sauf que dans ce cas, le vieillissement (cinq années minimum) a lieu à Cuba.

Carnet de route

Où acheter ses cigares

La Casa del Habano Jeff & Co (Mondorf-les-Bains)

Original et efficace : l’humidor, bien achalandé, compte une centaine de références avec une armoire spéciale Aged. À côté, un fumoir avec casiers personnels reçoit les amateurs dans de profonds fauteuils en cuir. La maison, également classée « débit de boissons », a le privilège de proposer un vaste choix de spiritueux, de rhums notamment, et une impeccable sélection de vins, dont ceux du domaine Henri Ruppert, la star du vignoble luxembourgeois (voir plus bas). Certains peuvent être dégustés sur place, dans le fumoir ou sur la terrasse aux beaux jours.

Meilleures ventes : Partagás D4, Wide Churchills de Romeo y Julieta, Trinidad.

42, av. François-Clément, Mondorf-les-Bains
Tél. : +352 26 67 16 24
www.cigares-jeff-and-co.com

 

Romain Terzi

Une offre pléthorique de plus de deux cents références : des cubains mais aussi de nombreux modules en provenance du Honduras, du Nicaragua ou de République dominicaine. Atavisme familial oblige, les Davidoff sont très bien représentés. Très curieux, Richard Terzi goûte à tout. Sa civette est aussi un fabuleux repaire pour amateurs de spiritueux avec des tarifs largement inférieurs à ceux pratiqués dans l’Hexagone.

Meilleures ventes : Trinidad Vigia, Wide Churchills de Romeo y Julieta , Epicure N° 2 et Petit Robusto de Hoyo.

20, route d’Arlon, Strassen
Tél. : + 352 45 21 21
www.terzi.lu

 

La Casa del Habano (Luxembourg)

Jean-Claude Reichling (photo : Luc Monnet) est une figure qui dépasse de loin le cadre local puisqu’il a raflé le trophée du meilleur vendeur de havanes lors du dernier Festival del Habano. Inaugurée en 1994, sa boutique accueillait le connaisseur Philippe Noiret lors de ses pérégrinations au Luxembourg, et le tennisman Henri Leconte est un visiteur régulier. Fan de doubles coronas (le Punch est sa gourmandise favorite), Jean-Claude Reichling propose plus de cent références dans sa civette équipée d’un petit fumoir à l’étage (en sus de la terrasse extérieure) ainsi que quelques spiritueux bien sélectionnés, côté rhums notamment.

Meilleures ventes : Wilde Churchills de Romeo y Julieta, Trinidad Vigia et les deux Éditions régionales Belux : El Diputado de Diplomáticos et Sancho Panza Gran Quixote.

22B, av. de la Porte-Neuve, Luxembourg
Tél. : + 352 22 13 21
www.lacasadelhabano.lu

Où fumer ?

Il est interdit de fumer dans les bars et les restaurants luxembourgeois depuis 2013. Et le fumoir de l’hôtel Sofitel, une institution, a fermé ses portes, à la surprise générale, juste avant la crise de la Covid-19. Voici tout de même deux refuges pour amateurs en transit…

 

Le Royal

L’hôtel cinq étoiles de la capitale dispose d’un piano-bar et d’un fumoir spacieux aux grandes baies vitrées dirigés par Thomas Foret, un jeune passionné de cigares. Une jolie carte de cocktails et une sélection pointue de spiritueux (dont un cognac Frapin Cigar Blend) complètent l’humidor destiné aux aficionados de passage. Fumoir très confortable où la conversation s’engage facilement (extraction efficace par le plafond). Ouvert 7 j/7 jusqu’à 1 h du matin (minuit en ce moment en raison de la crise sanitaire).

12, bd Royal, Luxembourg
Tél. : +352 24 16 89 52
www.leroyal.com

 

Domaine Henri Ruppert

À Schengen, au cœur de l’Europe, une construction contemporaine aux airs californiens et une terrasse où il fait bon s’asseoir en contemplant les vignes qui descendent jusqu’à la Moselle (photo : Luc Monnet). En face, c’est l’Allemagne… On peut y déguster les formidables vins du domaine qui produit des crémants et des blancs d’une remarquable précision. Côté rouges, il ne faut pas manquer « Ma tâche », un pinot noir qui flirte avec les grands bourgognes. Possibilité de se restaurer avec des plats typiquement luxembourgeois. Réservation conseillée.

1, um Markusberg, Schengen
Tél. : + 352 26 66 54 54
www.domaine-ruppert.lu