Brahim Asloum

Brahim Asloum, l’appliqué

Par annie lorenzo,
le 15 octobre 2019

Boxeur au palmarès inégalé en France, le champion à la retraite prend désormais le temps de savourer un cigare. Il ne regrette rien, même si sa carrière a connu un arrêt prématuré, mais rêve d’un nouveau challenge… devant la caméra.

 

Par Jean-Pierre Saccani

Photos : Luc Monnet

Champion olympique et champion du monde : Brahim Asloum affiche un palmarès unique pour un boxeur français. Sa silhouette, mince et sèche, prouve qu’il reste toujours affûté comme le mi-mouche qu’il fut. « Souvent, dans la rue, les gens pensent que je vais remonter sur le ring le lendemain », sourit-il. Pourtant, le temps de la retraite sportive est venu pour lui et il a dit adieu aux sacrifices qu’il a consentis de longues années pour rester dans la limite du poids imposé dans sa catégorie (entre 47,627 et 48,988 kg). S’il reste très sage côté diététique, Brahim Asloum cultive néanmoins un jardin secret : le cigare. Et le havane plus particulièrement : « Je suis souvent allé m’entraîner à Cuba. Contrairement à moi, mes camarades, bien plus âgés, recevaient des commandes de cigares de leur entourage. Ils me demandaient donc de leur ramener deux boîtes supplémentaires dans ma valise. Cela n’a pas duré longtemps : j’ai fini par les garder pour moi, sourit-il, et je les partageais ensuite avec mes amis de passage à la maison. »

 

La science de l’esquive

 

Monté sur le ring un peu par hasard, après avoir assisté à un gala de boxe avec son frère à Bourgoin-Jallieu (Isère), Brahim Asloum découvre Cuba pour la première fois vers la fin des années 1990. Il est alors encore adolescent : « J’avais seize ans, je pratiquais depuis deux ans et je venais de rentrer en équipe de France où l’on connaissait mon caractère impulsif, se souvient-il. Mes coéquipiers m’avaient conseillé de faire profil bas. Naturellement, dans ma tête, je leur disais d’aller se faire voir… Le premier jour, j’arrive dans une salle d’entraînement minuscule qui accueille une soixantaine de boxeurs ; ils s’affrontent en changeant d’adversaire toutes les trois minutes. Mû par l’ego, j’y vais à fond tout de suite et tout le monde voit immédiatement que je suis tendu. Je remarque que les Cubains se concertent pour savoir qui va venir m’affronter. Je fais la guerre jusqu’à trois catégories au-dessus de la mienne et là, je me rends compte que si je continue ainsi, je vais me faire massacrer. Les boxeurs cubains sont très respectueux mais ils n’hésitent pas à mettre des coups sur le ring, de vrais méchants en réalité… », poursuit-il.

Au-delà du cliché de violence qu’elle véhicule, la boxe est finalement une bonne école de la vie, car elle enseigne à esquiver les coups. Surtout à Cuba, où l’art prodigué dans les salles consiste à toucher l’adversaire sans se faire toucher. Ce que confirme Brahim Asloum : « Leur culture repose sur la science de l’esquive et de la contre-attaque. Frapper fort n’est pas leur première qualité mais ils contrent en permanence, rendant fous leurs adversaires. » Et d’affirmer, du haut de son expérience chez les amateurs comme chez les professionnels, où il affiche un palmarès éloquent de 24 victoires sur 26 combats (dont 10 par KO) : « Les Brésiliens naissent avec un ballon collé aux pieds, les Cubains avec des gants. Ils apprennent à six ou sept ans ce qu’on apprend en équipe de France à quatorze ou quinze ans. Cuba possède aussi une extraordinaire quantité d’athlètes : lorsque nous présentons deux ou trois excellents boxeurs, eux en alignent soixante ! »

 

Cigares de victoire

 

En toute logique, le boxeur confesse une préférence certaine pour le havane. Précision, comme si l’ombre de ses hommes de coin rôdait toujours : « J’ai été initié par des amateurs qui aiment la boxe mais je ne fumais pas lorsque je boxais chez les pros, même si j’aimais déjà sentir l’odeur du cigare. Après mes victoires, j’ai aussi toujours eu la chance d’avoir quelqu’un qui m’offrait des vitoles. Cuba et sa magie restent toujours uniques à mes yeux. Cela étant, côté cigares, je suis encore dans l’apprentissage et donc curieux de découvrir d’autres terroirs. Mais, j’avoue un faible pour les Cohiba que j’aime beaucoup fumer en vacances : j’ai l’impression que le monde s’arrête. J’éprouve alors beaucoup de plaisir à laisser le temps s’écouler lentement. »

Un paradoxe pour un homme dont la vie s’est subitement emballée lorsqu’il a gagné son titre olympique à Sydney en 2000, une médaille d’or que la France n’avait plus remportée depuis soixante-quatre ans. « J’étais sur un nuage, les plus grosses personnalités m’envoyaient des avions privés pour assister à leurs soirées… Heureusement, la famille [Brahim est le quatrième d’une fratrie de dix enfants, ndlr] m’a permis de garder les pieds sur terre. » Le boxeur surfe alors aussi sur le vague « bleu-blanc-beur » lancée par les Bleus d’Aimé Jacquet, vainqueurs de la Coupe du monde de 1998. Avec ses cheveux peroxydés, l’homme devient également très médiatique. Il passe donc logiquement professionnel l’année suivante. Un autre monde. Canal + le prend sous son aile en lui garantissant 900 000 euros par combat, un contrat énorme pour un boxeur français qui, de surcroît, ne boxe pas chez les lourds, la catégorie reine du noble art. En 2007, il est sacré champion du monde WBA, suite à sa victoire face à l’Argentin Juan Carlos Reveco. « J’étais le boxeur français le mieux payé mais je devais, à partir d’une certaine somme, demander la permission de la dépenser. Je ne dirai pas laquelle, c’est indécent… », avoue-t-il. Une restriction qui n’est pas forcément un mal lorsque l’on connaît la déchéance financière vécue par de nombreux sportifs de haut niveau après leur retrait de la « scène ».

Aujourd’hui, Brahim Asloum est resté dans le milieu qui lui a apporté gloire et richesse. Après quelques avanies, tout de même. « J’ai pris ma retraite sportive à vingt-huit ans, car je n’avais plus de diffuseur pour mes combats, Canal + ayant dénoncé l’accord qui nous liait. Je suis resté ensuite inactif pendant dix-sept mois avec la sensation que Ronaldo ou Messi éprouveraient s’ils restaient sur le banc de touche après avoir remporté le Ballon d’or. J’ai essayé de comprendre mais je me suis retrouvé face à des énarques qui n’accordaient aucune importance à la boxe et encore moins à Asloum. J’ai laissé du sang et des dents sur le ring, je voulais juste, par respect, qu’ils m’expliquent leur décision. » Plus tard, la justice lui donnera raison en lui accordant 740 000 euros pour le préjudice subi par la rupture de son contrat.

 

Nouvel élan

 

À la tête des deux structures de sa société Asloum Event, Brahim Asloum veut désormais apporter un nouveau souffle à son monde. La première, les Fighting Roosters, est une équipe olympique qui participe à un championnat géré par la Fédération internationale de boxe, un récent circuit calqué sur la NBA et la Coupe Davis. La seconde est constituée de boxeurs professionnels qui combattent dans les principales fédérations. Il est également retourné à l’école, à la Sorbonne, pour suivre un master en économie et droit du sport. Consultant pour la télévision, il lui arrive de croiser d’autres anciens champions, comme Mike Tyson ou Evander Holyfield, « avec un étui à cigares dans la poche », note-t-il malicieusement. Brahim affiche un certain optimisme pour l’avenir de la boxe : « RMC Sport, Canal + et beIN Sport recommencent à diffuser des matchs. Nous avons une bonne école et une nouvelle génération qui compte plusieurs champions du monde. L’essor de la boxe féminine est également très encourageant. Les boxeuses incarnent un vrai renouveau, elles ont plus de finesse dans le discours et cassent l’image du boxeur au nez cassé de 1,90 m et de 100 kg », sourit-il.

À part le cigare, Brahim Asloum avoue aussi un autre jardin secret : le septième art. « Après la boxe, rien ne m’a fait plus plaisir que le cinéma. » confesse-t-il. En 2013, pour Jacques Ouaniche, le boxeur a interprété le rôle-titre de Victor Young Perez, l’histoire d’un champion du monde des poids mouche déporté à Auschwitz. « Pour ce film, je me suis préparé comme pour un combat. J’ai appris mon texte par cœur… et celui des autres pendant deux mois, afin de ne pas être pris en défaut sur le plateau par les autres acteurs. J’ai également perdu 14 kg », glisse-t-il, comme s’il voulait convaincre un producteur. Sur le ring ou devant la caméra, le sens du sacrifice, toujours.