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En visite chez Douglas Kennedy

Par supercigare,
le 2 février 2017

 

Nous avons profité d’une de ses brèves et rares escales parisiennes pour rencontrer Douglas Kennedy, le plus français des écrivains américains.

Par Jean-Claude Perrier

Photos : Patrick Artinian

 

Douglas Kennedy avoue un rapport au temps assez pathologique. Nous nous sommes presque fait réprimander sous prétexte que nous aurions eu dix minutes d’avance. Pour une fois que des journalistes n’étaient pas en retard… Et puis, tout s’est finalement très bien passé : discussion à bâtons rompus – l’écrivain s’est livré sur le whisky, les cigares, sa famille et aussi son dernier livre –, puis séance photo avec dégustation d’un cigare. À la fin, accoudés à un pont sur le canal de l’Ourcq [canal construit entre 1802 et 1822 arrivant dans le Nord-Est de Paris et haut lieu touristique, ndlr] on avait du mal à se quitter. Une question d’atmosphère, sans doute.

Cigares et bons whiskys

Tout de suite en entrant dans l’appartement, sur la gauche, une cuisine ouverte, dite “ à l’américaine ”, forcément. Sur les étagères trônent de nombreuses bouteilles de whisky.

“ Après une journée bien remplie, c’est un soulagement de prendre un cigare et un très bon whisky : Laphroaig, mais de quinze ans d’âge, Bunnahabhain, Nikka Coffey Grain, un japonais… Ou encore un calvados domfrontais [AOC normande, correspondant au terroir de Domfront dans le département du Calvados, ndlr], mélange de pomme et de poire. J’aime fumer un cigare le soir, avec un digestif, parfois à quatre heures du matin. Je suis un vampire, un oiseau de nuit. J’étais un ado anxieux. J’ai commencé à fumer à l’âge de quinze ans, comme un pompier, en écrivant mes premières pièces de théâtre. Puis, à trente-deux ans, à Dublin, alors que je venais de terminer mon premier livre, j’ai eu un pépin de santé. Le médecin m’a dit : “C’est votre choix.” J’ai arrêté. Mais, en 2000, après que j’avais terminé À la poursuite du bonheur, un copain m’a offert un Epicure N° 2 de Hoyo de Monterrey. J’ai trouvé ça extraordinaire. Depuis, je fume un cigare par jour, que j’achète en général à La Tabatière Odéon, ma civette préférée à Paris. Ici, je ne fume que des havanes. Aux États-Unis, c’est plus compliqué. J’espère que les lois sur les cigares cubains vont changer, comme d’autres. Quand je fume, tout seul en général, je réfléchis en même temps. Mais je n’ai pas besoin de fumer pour écrire. J’aime bien me balader dans les rues avec un cigare. Mes préférés sont le Wild Churchills de Romeo y Julieta et le Robusto de Bolivar, des cigares assez forts. Parfois, l’après-midi, je m’accorde un premier cigare, plus modeste, un petit H. Upmann, par exemple. Comme je voyage beaucoup, j’emporte toujours avec moi des cigares dans des sachets humidifiés. ”

On lui conseille de s’acheter un humidor de voyage. Ensuite, sur la droite, un mur couvert de rayonnages où se mêlent livres, CD de jazz et de classique et photos. Le tout impeccablement rangé, comme le reste de l’appartement. « Je n’aime pas le bordel », reconnaît le maître des lieux.

“ Là, ce sont mes enfants. Mon fils Max, qui vit en Floride et qui, malgré son handicap, est devenu photographe. Et ma fille Amalia, qui habite à Los Angeles. Elle est comédienne, et elle écrit aussi. Ils sont comme moi, irlando-judéo-américains, et comme leur mère, anglo-américains. Ils ont un accent anglais : ils ont grandi à Londres. Être père, c’est des responsabilités, mais c’est magnifique. ”

On finit par s’asseoir dans un canapé enveloppant. Meubles design, ambiance chic et confortable. Musique en fond sonore, que nous le prions de bien vouloir éteindre. Expressos partagés, devant la table basse.

“ Je suis très à l’aise partout. Je m’adapte, même si je reste Douglas Kennedy ! Mon premier appartement à Paris, c’était une garçonnière de 28 m2 à Saint-Germain-des-Prés. J’y ai vécu nombre d’expériences intéressantes, pas mal de plaisirs. Puis j’ai acheté celui-ci, dans le Xe, dans ce qui était encore un quartier populaire. J’ai fait pareil à New York. J’ai le sens des bonnes affaires… J’aime le design et une certaine simplicité. Mon père était dans les Marines : je fais mon lit tous les matins ! Mes seuls luxes, ce sont les cigares, la musique, le cinéma. Je n’ai pas la télé. Pas de Porsche (rires). Juste un 4 × 4 dans le Maine. À Paris, je prends le métro ou le bus. Les gens, souvent, me reconnaissent. Ça ne m’ennuie pas. Nous échangeons quelques mots. J’essaie d’être quelqu’un d’élégant.

J’aime ma vie, ma liberté. Je voyage tout le temps et j’organise moi-même mes voyages. Je n’ai pas d’agent, pas d’imprésario, juste un assistant dans le Maine. Je vis entre Paris, New York, Montréal, où habite ma deuxième femme, qui est psychanalyste, le Maine, Berlin et Londres. C’est un système idéal, parce que aucune routine ne peut s’installer. Le problème avec le mariage, c’est la vie quotidienne. On n’a pas beaucoup de temps dans la vie, alors pourquoi se la compliquer ? Mon vrai chez-moi, c’est New York, où je suis né en 1955 mais que j’ai fui en 1977, pour des raisons familiales. J’ai décidé de revenir vivre aux États-Unis, parce que c’est mon pays, mes concitoyens. Tout du moins les 100 millions d’Américains – sur 350 – qui ont un passeport. Les autres, l’Amérique profonde, restent très chrétiens, conservateurs, ignorent le reste du monde…

 

Interruption. Coup de téléphone. Puis notre hôte revient vers nous, reprenant le fil de ses confidences.

“ Pendant une vie, il y a des moments difficiles, tout le monde souffre à un moment ou à un autre. On doit tout porter, trouver l’équilibre, faire face. Pour moi, l’écriture sert aussi à ça. Ma famille est un bordel. C’est pour ça que je suis parti, le 18 mars 1977, mon diplôme d’histoire américaine en poche, pour Luxembourg, Paris puis Dublin. Après une scène avec mon père, mais sans faire de mélodrame. Nos rapports n’ont jamais été simples. En 2001, j’avais quarante-six ans, tout a basculé : il a carrément coupé les ponts. On ne peut pas changer les autres. Alors j’écris, tout le temps. Sauf ces dix jours, trois fois par an, où je me déconnecte complètement et où je bloque le monde. Là, je viens d’achever mon dix-huitième livre et treizième roman, une grande fresque américaine qui se déroule dans les années 1970-1980 et met en scène une famille avec tous ses secrets. Je n’ai pas encore le titre – souvent, il vient après le texte. Il paraîtra aux États-Unis l’année prochaine. ”

Clap de fin. Douglas est attendu pour une autre interview. Nous avons juste le temps de prendre quelques photos dans l’escalier, puis dans la petite cour-jardin de l’immeuble. Là, il peut allumer l’un des cigares que L’IADC, munificent, lui a offerts. Un havane, Un Par Larrañaga Opera…

 Verdict :

“ Très bien équilibré, et pas si léger que ça. Des notes de cuir, de chocolat noir, de cire. Ça irait bien avec un whisky, mais il est un peu tôt. Une autre nuit, peut-être… ”