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Fumer ou conduire, faut-il choisir ?

Par La rédaction,
le 19 avril 2021

Déguster son cigare préféré au volant expose-t-il à une contravention ? Selon les situations, policiers et gendarmes semblent adopter des attitudes variées. Que dit le droit et comment le fumeur peut-il se défendre en cas d’infraction ?

Par Me Michaël Grienenberger-Fass, avocat au barreau de Paris (MGF.avocat@gmail.com)

 

La réponse de principe est courte et simple : oui, il est en principe permis de fumer un cigare au volant, puisque aucun texte législatif ou réglementaire ne l’interdit. Seul l’article L. 3512-9 du Code de la santé publique y fait exception en interdisant à tous les occupants de fumer en présence d’un mineur dans le véhicule. C’est la seule interdiction formelle contenue en droit français.

Toutefois, à cette apparente liberté dominante s’appliquent des nuances dont les interprétations multiples peuvent conduire à faire renverser le principe et l’exception.

En effet, si fumer au volant n’est pas formellement interdit, l’impossibilité d’être « en état et en position d’exécuter commodément et sans délai les manœuvres nécessaires à la conduite en toute sécurité avec un champ de vision convenable » est, en revanche, une infraction prévue par l’article R. 412-6 du Code de la route. Par construction, fumer peut donc amener à commettre une infraction si les conditions de la dangerosité qui viennent d’être rappelées sont réunies. De nombreuses situations dangereuses sont imaginables : un conducteur fixant le cigare qu’il fume, surtout s’il l’allume ou le rallume, plutôt que de regarder la route, une fumée envahissante dans l’habitacle restreignant le champ de vision, une cendre incandescente tombant sur le conducteur ou dans la voiture et l’obligeant à des acrobaties… Autant de scènes dont l’issue doit être évidemment redoutée.

On remarquera que la réglementation n’a pas entendu aménager une interdiction spécifique aux fumeurs. Les termes de l’article R. 412 sont en effet suffisamment larges pour appréhender toute pratique susceptible d’entrer en contradiction avec les prescriptions qu’il contient. L’automobiliste n’est pas stigmatisé en tant que fumeur, car il n’aura pas davantage le droit de téléphoner, manger, lire ou écrire pendant qu’il conduit. Le tabac n’est donc pas interdit en tant que tel : seule l’imprudence à laquelle son usage peut entraîner conduit à la sanction d’une faute.

Des verbalisations peu fréquentes

La généralité des termes de l’article R. 412-6 du Code de la route ne joue pourtant pas en faveur des fumeurs. Les forces de l’ordre peuvent s’appuyer autant de fois que nécessaire sur cette généralité pour sanctionner à discrétion, profitant de l’imprécision des textes. Il appartient donc au conducteur d’anticiper en appréciant si la décision de fumer et les actes qu’elle entraîne pourraient lui être reprochés au regard des règles du Code de la route.

En cas de verbalisation, le « cigare au volant » coûtera aux fumeurs imprudents une contravention de 2e classe, soit une amende de 35 euros, laquelle sera minorée à 22 euros en cas de règlement de cette somme dans les délais prévus par l’avis de contravention.

En pratique, les verbalisations sont peu fréquentes et les poursuites encore plus rares, le montant des peines contraventionnelles encourues ne justifiant guère l’encombrement des prétoires.

Faire primer la sécurité et le bon sens

Il est donc clair qu’il appartient au fumeur de juger raisonnablement de la faisabilité de fumer un cigare selon le contexte de sa conduite. En tout état de cause, il apparaît plus sage, compte tenu des gestes que nécessitent ces délicates opérations, d’allumer et de rallumer un cigare à l’arrêt total du véhicule.

Ces préconisations valent également pour les conducteurs de deux-roues et s’appliquent à eux de la même manière, bien que leur situation spécifique devrait les autoriser à bénéficier d’une plus grande liberté de mouvement.

Comment se défendre ?

Qu’en est-il dès lors du conducteur verbalisé estimant ne pas avoir enfreint le Code de la route ?

On se souviendra d’abord qu’il appartient uniquement aux forces de l’ordre de prouver l’infraction : le seul fait de fumer au volant n’étant pas interdit, il apparaît peu probable que les agents verbalisent si le conducteur n’a pas commis, cigare en main, une infraction consécutive à son action de fumer et au détournement d’attention provoqué par cette dernière (feu rouge non respecté, ligne continue franchie, changement de direction sans signalisation, etc.). Dans d’autres cas, hélas les plus graves, le fait de fumer sera considéré comme une circonstance ayant entraîné l’accident, le problème ne portant plus sur la détection du fait générateur, mais sur l’étendue d’un préjudice.

Si cette verbalisation apparaît comme abusive, tout particulièrement lorsque le conducteur n’a commis aucune infraction et s’est contenté de fumer, il est possible de la contester par une procédure ad hoc. L’avis de contravention que reçoit l’auteur de l’infraction doit en effet toujours comporter la mention des délais et voies de recours mais aussi toutes les mentions obligatoires prescrites par la loi, comme la procédure détaillée à suivre pour s’acquitter de la somme demandée. Si ce n’est pas le cas, ou que ces mentions sont incomplètes ou imprécises, la procédure peut être irrégulière et par conséquent nulle. On sera donc aussi attentif à cet aspect purement procédural, qui pourrait sauver plus d’un conducteur distrait d’une amende bien évitable. Tout en conservant la sécurité comme règle « de conduite » au moins aussi impérieuse que le respect de la norme juridique.

 

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