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Ernesto Perez-Carrillo, un parcours fait de jazz et de cigare

Par supercigare,
le 2 août 2019

Un temps jazzman à New York, Ernesto Perez-Carrillo a rangé ses cymbales pour se lancer dans le cigare. S’il regrette de ne savoir ni confectionner un cigare ni planter du tabac, ce petit-fils de rouleur cubain a suivi la bonne partition pour se hisser parmi les grands noms de la République dominicaine.

par Armelle Vincent

En dépit de sa réussite et de l’immense succès de ses cigares, Ernesto Perez-Carrillo a deux regrets : il n’a appris ni à cultiver le tabac ni à « faire » des cigares. Par « faire », il veut dire rouler comme un maître assembleur. Il n’est pas non plus le musicien qu’il rêvait de devenir lorsque, à vingt-cinq ans, il est parti pour New York dans l’espoir d’intégrer un groupe de jazz comme batteur. À cette époque, le cigare en tant que métier ne l’intéressait pas vraiment. Pourtant, la tradition familiale aurait dû le porter vers cette activité. Au début du siècle dernier, son grand-père José et son grand-oncle gagnaient leur vie en roulant des cigares dans les rues de La Havane. Son père, Ernesto Sr., a ensuite pris le relais. « C’est lui qui s’est le plus impliqué dans cette industrie. Acheteur pour la compagnie Cuba Land, il visitait les champs de tabac et négociait l’achat des matières premières », raconte Ernesto Perez-Carrillo tandis que se déroule une dégustation à l’aveugle dans sa manufacture Tabacalera La Alianza, à Santiago de los Caballeros, en République dominicaine.

Pendant la Seconde Guerre mondiale, l’industrie du tabac s’est trouvée paralysée. Personne ne vendait ni n’achetait. « Mon père a pris le risque d’acheter tout ce qu’il pouvait. Le conflit terminé, il avait entre les mains un négoce magnifique ! » En 1948, Ernesto Sr. acquiert une petite manufacture à La Havane, El Credito, qu’il transforme en une affaire prospère. En 1954, il est élu au Sénat – il sera réélu en 1958. Hélas pour la famille, la révolution chamboule tout. Ernesto Sr. est emprisonné plusieurs fois pour ses opinions politiques. Puis le gouvernement de Fidel Castro confisque la manufacture. Ernesto Sr. fuit Cuba avec femme et enfants pour s’installer à Miami. Il espère pouvoir revenir rapidement au pays, comptant sur l’échec prochain de la révolution. Mais les années passent, et il devient évident qu’il n’en sera pas ainsi. Il achète alors une petite manufacture de Miami, qu’il baptise El Credito, en souvenir de sa fabrique cubaine.

Pendant ce temps, son fils cherche fortune à New York. « Mais je n’ai pas eu le succès escompté. J’ai compris qu’il était très difficile de percer dans le milieu de la musique. Alors je suis revenu à Miami pour travailler avec mon père. » Ce dernier décède en 1980. À vingt-neuf ans, Ernesto Jr. hérite de l’entreprise. Il affronte de multiples difficultés financières. Et finit par créer La Gloria Cubana, une marque si appréciée que quatre de ses vitoles reçoivent les louanges de la presse américaine en 1992, à l’immense surprise de l’industrie. C’est l’envol immédiat et la reconnaissance mondiale. Sept ans plus tard, Ernesto Perez-Carrillo vend la marque au groupe suédois Swedish Match, mais continue de diriger les opérations. Ce sont ses enfants qui le poussent à retourner aux sources en créant une nouvelle marque : E.P. Carrillo voit le jour en 2009.

Ernesto Perez-Carrillo a le crâne dégarni, les yeux en amande, une voix plutôt aiguë et une barbe. Il est accueillant, sympathique, humble. Sa fille Lissette n’est pas loin. Après avoir fait leurs classes ailleurs, son frère Ernesto III et elle secondent désormais leur père. Tabacalera La Alianza est aujourd’hui très prospère. De Miami, la famille a déplacé la manufacture en République dominicaine où la main-d’œuvre est moins chère. Elle a produit 2,1 millions de cigares en 2018, un chiffre que la famille Perez-Carrillo compte faire passer à 2,4 millions en 2019. Les cigares E.P. Carrillo sont présents dans 26 pays : 95 % des ventes s’effectuent aux États-Unis, le reste en Europe, mais Ernesto a le regard tourné vers l’Asie. Surtout depuis qu’un Pakistanais a de façon inattendue commandé trois cents boîtes. « Un autre client a récemment voulu commander 1 million de cigares qu’il voulait dans le mois, raconte Ernesto. J’ai refusé. Si j’avais dit oui, nous n’aurions jamais pu garantir leur qualité. Et ce client ne nous aurait jamais plus commandé quoi que ce soit. Qualité et quantité sont rarement amis. La Chine nous a aussi passé une commande. C’est un pays très difficile à conquérir et nous ne sommes pas pressés, car nous voulons le faire bien. Nous sommes déjà présents en Russie. Nous pensons aussi au Japon. Et nous aborderons Dubaï dès l’année prochaine. »

En France, ce sont le Inch 70 et la ligne La Historia qui se vendent le mieux. « La France m’étonne ces derniers temps, confie le fabricant. Depuis quatre ou cinq ans, ce pays change. Lui qui n’aimait pratiquement que les cigares cubains de puissance moyenne se met à goûter à autre chose. Les aficionados français cherchent aujourd’hui d’autres saveurs et d’autres assemblages, particulièrement ceux de la République dominicaine. »


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