François-Michel Lambert, un député en marche pour le cigare !
Député écologiste des Bouches-du-Rhône et amateur de havanes revendiqué : cela donne envie d’aller voir ! Parce qu’un homme politique qui accepte de parler du cigare, et de se faire photographier avec, c’est une espèce rare, et donc à protéger.
Par Thierry Dussard
Photo : Luc Monnet
Il nous reçoit dans son bureau de l’Assemblée nationale, aussi étroit qu’une cabine de bateau, et, comme pour faire valoir ses états de service, ouvre aussitôt un placard où trône une bouteille d’Havana Club, Selección de Maestros, à côté d’une cave à cigares bien remplie de Cohibas et de havanes en fagots. Puis nous emmène à la bibliothèque de l’Assemblée et dans les couloirs pour faire une photo. On y croise Nicolas Hulot, qui s’est distingué ce jour-là, juste avant Noël, dans l’hémicycle. « Bonnes vacances ! » lance le ministre. « Merci, toi aussi ! » répond le député.
Chemise bleue, cravate Hermès et souliers brun ambré, le député écolo a belle allure. À cinquante et un ans, l’ancien vice-président de la commission Développement durable et Aménagement du territoire en est à son deuxième mandat. Élu sous l’étiquette écologiste au nord de Marseille en 2012, à la suite d’une triangulaire qui l’opposait à l’UMP et au Front national, il rejoint le groupe PS en 2016 avant d’être réélu l’an dernier sous la bannière La République en marche. Il est aussi le père de cinq enfants d’une famille recomposée et possède une double nationalité, française et cubaine. Homme politique hybride, chaleureux et pragmatique, il est enfin le premier parlementaire à rouler 100 % électrique, dans une Renault Zoé.
L’Amateur de Cigare : La page d’accueil de votre site officiel affichait début décembre les photos de Johnny Hallyday et de Jean d’Ormesson fumant un cigare, c’est un bel hommage à ces grands hommes et au cigare, nous vous avons donc apporté un Gigantes de Ramon Allones !
François-Michel Lambert : Merci beaucoup. Je suis amateur de cigares, en effet, mais sans excès. Je fume environ trois havanes par semaine, en fin de journée, cela permet de calmer le jeu dans un emploi du temps chargé. C’est aussi apaisant que stimulant. Je fume parfois devant mon ordinateur, la fenêtre ouverte, en préparant mes interventions. Ou bien dans la rue, en allant à pied à un rendez-vous – il m’arrive même de faire un détour pour faire durer le cigare. Parce que le cigare a besoin de temps, il vous en donne autant qu’il en prend, et c’est une des choses qui font que je l’apprécie.
L’ADC : Vous êtes né à Cuba en 1966, ce n’est pas banal…
F.-M. L. : Mon père était ingénieur agro et il avait croisé René Dumont à la FAO, l’organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture. Celui qui n’était pas encore le célèbre agronome et écologiste que l’on connaît lui a proposé une mission de longue durée à Cuba, car mon père était spécialiste des pâturages tropicaux. Il y est resté de 1966 à 1970, avant de partir au Brésil. Je suis donc né à la maternité de La Havane, et nous logions dans une des suites de l’Hotel Nacional, qui domine le Malecón. J’ai ainsi fait mes premiers pas sous le ciel cubain, et forcément, il en reste des sensations qui s’inscrivent dans votre imaginaire.
L’ADC : Vous êtes donc quasiment tombé dans le havane quand vous étiez petit, mais de quand date votre premier cigare ?
F.-M. L. : Mon père fumait le cigare. Je l’accompagnais aussi souvent dans les fermes où, en plus de l’élevage, le tabac a toujours été une culture naturelle à Cuba. Le havane est comme une madeleine pour moi, mais bien avant de le fumer je l’ai palpé et humé – je ne compte pas le nombre de cigares que j’ai dû gâcher en les manipulant ! Je n’ai allumé le premier que vers vingt ans, à l’anniversaire d’un copain, plus pour frimer qu’autre chose ! Et ce n’est que récemment, en changeant de vie, à quarante-cinq ans, que je suis devenu un fumeur de havanes, parce que le cigare, comme les grands vins, ne peut vraiment s’apprécier qu’avec la maturité.
L’ADC : Mais vous êtes entré en politique avec les écologistes, alors que le cigare, ce n’est a priori pas très écolo…
F.-M. L. : Détrompez-vous, le cigare est tout ce qu’il y a de plus écologique, au sens où l’écologie est le contraire de l’artificiel. C’est un produit 100 % naturel, composé uniquement de tabac, sans arômes ajoutés, ni filtre qui mettra ensuite deux ans à se décomposer. On n’avale pas la fumée, et on n’en rallume pas un second sitôt le premier terminé. Or, être écolo, c’est se garder de tout abus, qu’il s’agisse du tabac, de l’alcool ou de la voiture, et bannir tout type de surconsommation. Le cigare, en réalité, vous relie à la nature, et le havane incarne une communion culturelle avec un terroir et une tradition.
L’ADC : Avant votre carrière politique aux côtés des Verts, vous avez eu une autre vie. Quel a été votre parcours ?
F.-M. L. : École primaire dans le Gers, et DUT de génie mécanique à Montpellier, puis j’ai travaillé chez Pernod Ricard de 1990 à 2006, d’abord près de Perpignan, puis au siège. J’étais chargé de la logistique, mais j’y ai aussi appris à déguster et à privilégier la qualité. Ma première langue est l’espagnol et naturellement j’ai été associé en 1994 au développement de la joint-venture à 50-50 avec Havana Club. En parallèle, j’ai milité à Génération Écologie aux côtés de Brice Lalonde, puis chez les Verts avec Noël Mamère, avant d’être élu conseiller municipal de Gardanne en 2008. Et quatre ans plus tard, député de la 10e circonscription des Bouches-du-Rhône, celle de Marcel Pagnol. C’est pour cela que je défends la chasse des grives à la glue, dont il parle dans La Gloire de mon père, mais seulement dix oiseaux par an et par chasseur !
L’ADC : Vous êtes un écologiste atypique…
F.-M. L. : En fait, je suis contre tout excès, et contre une écologie punitive, trop directive et confiscatoire, qui limite le débat à quelques sachants autodésignés. Il ne s’agit pas d’interdire le foie gras, mais de garantir des conditions de production raisonnables, et d’une manière générale de sortir du modèle productif à tout-va. Cette approche équilibrée m’a conduit, en tant que spécialiste de l’économie circulaire, à contacter Emmanuel Macron quand il était ministre. Puis j’ai candidaté par Internet pour avoir l’investiture de La République en marche (LREM), étiquette sous laquelle j’ai été élu, tout comme mon collègue François de Rugy, qui est devenu président de l’Assemblée.
L’ADC : Le nouveau règlement de l’Assemblée nationale interdit à tout député d’employer son épouse ou sa compagne comme assistante parlementaire, et je crois que c’est votre cas ?
F.-M. L. : Marjorie Hagobian, ma compagne, est en effet ma collaboratrice depuis plus de cinq ans, mais elle sera licenciée à compter du 14 février 2018, une date symbolique, celle de la Saint-Valentin. Elle n’est que le bouc émissaire de comportements que d’autres ont eus dans le passé. Soit. Je tiens à préciser qu’elle est très engagée sur nombre de dossiers et qu’en tant que juriste, elle apporte une expertise notable couplée à son expérience dans de nombreux domaines. Elle apprécie également de partager un moment autour du cigare, chez nous ou lors de soirées privées. D’ailleurs, dans ses nouvelles activités, elle pourrait être amenée à promouvoir un certain plaisir autour de l’instant cigare…
L’ADC : Vous êtes aujourd’hui rattaché au groupe LREM et « en même temps » porte-parole de l’Union des démocrates et des écologistes (UDE) : êtes-vous macroniste ou écologiste ?
F.-M. L. : J’ai toujours essayé d’être loyal. Je suis député écologiste et je vote avec le groupe LREM, c’est clair. Nous sommes une dizaine, sur les 310 ou 315 députés En marche, à constituer un pôle progressiste et pragmatique soucieux de défendre des valeurs d’harmonie avec la terre. Ce qui nous ramène au tabac et au havane. Je suis très confiant pour l’avenir du cigare et pour sa place dans notre société. Il n’est pas question de répondre à quelque lobby que ce soit, mais de laisser la possibilité à chacun de pratiquer une passion et un plaisir, bien entendu avec modération.
L’ADC : Il fut une époque où les amateurs de gauche pouvaient se référer à Che Guevara et ceux de droite à Winston Churchill, mais aujourd’hui, le cigare n’est plus politiquement correct…
F.-M. L. : Ce n’est pas l’alpha et l’oméga de mon engagement politique, mais le cigare comme trait d’union, terrain d’entente et de partage, doit être préservé. On ne va pas tous se retrouver autour d’un plat de quinoa, il y a quand même plus festif ! Il ne faut pas que le cigare soit connoté socialement. Pour cela, il suffit de rappeler que son prix équivaut à celui d’un paquet de cigarettes. Le havane n’est pas l’apanage d’une classe sociale, mais le signe d’un épicurisme bien placé.
L’ADC : Vous êtes, depuis septembre 2017, le président du groupe d’amitié France-Cuba : que comptez-vous faire concrètement ?
F.-M. L. : Tout d’abord, défendre la pratique du cigare au sens large, ce qui ne m’empêchera pas d’essayer de brider l’appétit des cigarettiers, ce n’est pas contradictoire parce que ce sont deux dimensions différentes. Je compte aussi me rendre à La Havane prochainement, car depuis l’élection de Donald Trump à Washington, Cuba recherche un partenaire de confiance, et la France a une opportunité qu’il faut saisir.
L’ADC : Ce sera une année de transition à Cuba, puisque Raúl Castro, au pouvoir depuis 2006, va céder la présidence, en gardant peut-être la direction du Parti, voire de l’armée, au profit de Miguel Díaz-Canel.
F.-M. L. : On peut s’attendre à une transition en douceur. Miguel Díaz-Canel, le premier vice-président, a cinquante-sept ans, il incarne une nouvelle génération. Et on sous-estime l’existence de courants au sein du Parti communiste cubain, ainsi que les différences entre les hommes. Fidel et Raúl sont demi-frères, on l’oublie. Je me souviens d’une conversation avec Raúl, me rapportant un dialogue entre Fidel Castro et Georges Marchais, qui voulait tout nationaliser dans la France de l’après-1981 : « Sauf le camembert », lui a répondu Castro. Autrement dit, pas besoin de changer ce qui marche bien, cela laisse toute sa place au pragmatisme !
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