Sanja Lopar, du journalisme de guerre à la production de cigares.
Derrière une marque de cigares que les amateurs pourront découvrir cet automne, une femme et une aventure absolument hors du commun. Récit.
« Mes cigares, c’est moi, j’y ai mis tout ce que je suis. » Autant dire de l’énergie, du charme et une complexité certaine étant donné l’itinéraire peu banal de notre interlocutrice. Sanja Lopar, c’est d’abord un pays, l’« ex-Yougoslavie », comme elle dit, et une ville, Sarajevo, où elle est née et a vécu de terribles années de guerre. « Essayez de vivre un jour, un seul, sans eau et sans électricité, rien que cela, et vous saurez ce que c’est que de vivre ainsi pendant trois ans. »
Sarajevo en guerre
Journaliste célèbre dans les années 1980, Sanja est une battante qui arbore un sourire désarmant. En 1992, son fils Sacha, alors âgé de huit ans, est très grièvement blessé à la tête dans un jardin d’enfants par un tir d’obus. L’hôpital de Sarajevo, sans eau et éclairé avec des bougies, ne peut rien faire. Les heures de Sacha sont comptées. Il faut le sortir de la ville de toute urgence mais l’aéroport est fermé. Usant de ses contacts politiques, Sanja se rend au QG des Nations unies où, ébahie, elle trouve des soldats endormis devant les restes d’un banquet arrosé de magnums de Moët et Chandon. Ni le général qu’elle interpelle ni le responsable de l’Unicef ne lui viennent en aide. Leur seule réponse : « On ne peut rien faire, l’aéroport est fermé. »
Le Tupolev de Bush
Ne comptant plus alors que sur la solidarité de ses amis journalistes, Sanja se rend au siège de la chaîne américaine NBC. Une équipe la suit aussitôt à l’hôpital, au chevet de Sacha, puis au QG des Nations unies, guère heureux de la voir revenir flanquée de caméras. Le film est aussitôt envoyé et retransmis sur toutes les télés américaines. Ce qui vaut à Sanja d’être appelée le lendemain matin par le secrétaire de George Bush senior. Quelques heures après, elle embarque avec son fils dans un Tupolev qui les emmène à l’hôpital pour enfants de Zagreb.
De Zagreb à Genève
La course contre la montre n’est pas finie. Après avoir examiné son fils, les médecins lui remettent deux propositions parfaitement contradictoires. L’un préconise une opération immédiate avec 10 % de chances de survie, l’autre proscrit l’opération mais donne aussi peu de chances de survie à l’enfant. Incapable de choisir, Sanja harcèle de questions l’un des neurochirurgiens qui finit par lui conseiller de faire transporter Sacha en Suisse. Mais comment ? Sanja utilise de nouveau la filière des journalistes : grâce au quotidien suisse La Tribune de Genève, elle peut débarquer quelques heures plus tard à Genève avec son enfant. Sacha est opéré dès le lendemain matin. Il a aujourd’hui trente-trois ans, deux enfants, et se porte comme un charme, sans aucune séquelle.
De Genève au Costa Rica
Une nouvelle vie commence alors à Genève pour Sanja. Après avoir appris le français et l’allemand, elle trouve un emploi dans un groupe allemand d’énergies renouvelables dont elle est aujourd’hui la représentante exclusive.
Puis, il y a dix ans, elle goûte par hasard un Behike fabriqué pour le quarantième anniversaire de Cohiba. Immédiatement séduite, elle essaie vainement ensuite de retrouver cette émotion avec d’autres cigares : « Ce qui me déplaît, surtout, c’est l’âcreté presque générale du troisième tiers. Vous appelez cela la “purin”. ». En 2010, elle rencontre par hasard un fabricant de cigares au Costa Rica à qui elle demande quelques boîtes très personnelles, roulées et assemblées à son goût (sans tabac du Costa Rica, qu’elle n’aime pas), pour elle et son mari. Ravie du résultat, qui lui ressemble, dans lequel elle se retrouve, elle en commande pour des amis, des relations. Puis, peu à peu, le bouche-à-oreille fonctionne et des commandes arrivent de divers palaces et fumoirs suisses.
Du Costa Rica à nos civettes
Forte de ce succès, Sanja crée son entreprise en 2013, signe un contrat avec une nouvelle fabrique au Costa Rica et décide de baptiser ses cigares à son nom, Lopar, avec un grand L qui anime la bague. « Parce que je les assume totalement. Ils sont exactement ce que j’aime et ils sont à mon image. Je ne veux pas me dérober, ni me cacher derrière un autre nom. »
Vendus de 17 à 20 euros, les Lopar ne sont pas donnés. « Vous me dites qu’ils sont chers, c’est vrai, mais ils me reviennent très cher », se défend Sanja. Elle met en avant les capes vintage vieillies dix ans, les tabacs hyper-sélectionnés, les huit feuilles roulées dans chaque cigare et le procédé de fabrication, totalement biologique. « Je ne fais pas cela pour gagner ma vie mais parce que le succès m’a poussée et que je me suis prise au jeu. »
Dégustation à suivre très prochainement… !
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