Reconnaitre les bons tannins…
La première gorgée d’un vin rouge, comme la première bouffée d’un cigare, laisse la bouche du néophyte sèche, et même amère. Mais une fois cette étape franchie, le palais s’habitue, la salive reprend le contrôle de la situation. Que s’est-il passé ?
Par Bernard Burtschy
La spécificité d’un vin rouge par rapport à un vin blanc est la macération des peaux d’un raisin rouge ou noir avec le jus de raisin qui est en général totalement incolore. Cette macération fait migrer la couleur (les anthocyanes) et des arômes spécifiques au cépage, mais aussi des tannins végétaux qu’aujourd’hui on nomme souvent « polyphénols », un terme qui a été introduit dans les années 1980. Petite précision, le mot « tannin » s’écrit indifféremment avec un ou deux n, mais « tannage » ou « tannerie » en prennent toujours deux.
Les polyphénols sont présents, à des doses très diverses, dans tous les végétaux, où ils assurent une importante fonction de repoussoir vis-à-vis des insectes et même des herbivores. Leurs aptitudes sont connues depuis l’Antiquité, en particulier pour la préparation du cuir pour le tannage (d’où le mot « tannin »). Le cuir était alors trempé pendant au moins un an dans des fosses de tan issu du broyage de l’écorce de chêne. Grâce à ce procédé, le cuir devenait imputrescible, car les protéines contenues dans le cuir étaient ainsi précipitées en des produits qui résistent à la décomposition organique.
C’est un peu le même phénomène qui se déroule en bouche. La langue et ses papilles sont protégées par la salive, qui est composée pour l’essentiel de protéines. Or, les tannins du vin rouge ou la fumée du cigare les coagulent en un tournemain et les papilles se retrouvent à nu, d’où la sensation de sécheresse plus ou moins forte.
Le cigare ne nécessite aucun adjuvant
Mais, outre de faire précipiter les protéines, les polyphénols ont aussi des propriétés antioxydantes, d’où leurs effets, à doses modérées, de protection cardiovasculaire et bactéricides, ce qui contribue à la fois à la bonne santé des individus et au bon vieillissement du vin rouge. D’ailleurs, l’acide tannique est encore utilisé en médecine externe. Ce sont ces mêmes propriétés antibactériennes et antifongiques qui permettent aux plantes de se protéger contre insectes et herbivores.
Les polyphénols se retrouvent dans toutes les parties de la plante : les fruits, les légumes, les fleurs, les tiges ou encore les feuilles, comme dans le tabac. Les niveaux de concentration de polyphénols, d’astringence et d’amertume sont très variables et il faut aussi compter avec les interactions avec les autres éléments comme les acides, sucres et autres flavones. Ainsi, plus un vin est acide, plus les tannins sont perceptibles et agressifs. La feuille de cigarette, qui est transformée par séchage, est, comme toutes les feuilles ou presque, terriblement acide et nécessite des adjuvants pour masquer la sécheresse qui en résulte. Ce sont ces adjuvants qui posent un gros problème en matière de santé publique, bien plus que la nicotine à qui on fait porter un chapeau trop grand. Grâce à sa double fermentation, le cigare est neutre en acidité et ne nécessite aucun adjuvant.
Les polyphénols
Les polyphénols forment une vaste famille composée, comme leur nom l’indique, d’au moins deux groupes phénoliques. Ceux du vin sont des tannins condensés extraits lors de la vinification qui possèdent de fortes propriétés antioxydantes et qui stabilisent la couleur. Mais il ne faut pas trop les extraire, sinon ils deviennent astringents. Les cépages sont très inégalement pourvus en tannins : on en retrouve en masse dans le tannat, le malbec, le mourvèdre ou le cabernet sauvignon, nettement moins dans le pinot noir et le gamay.
Les élevages en bois sont la source d’autres polyphénols, des tannins éllagiques nettement plus harmonieux qui se combinent bien aux tannins condensés du vin. Leur intensité et leur complexité varient beaucoup selon le degré de brûlage du fût, les origines des bois, la durée de l’élevage. Pour éviter la signature d’un tonnelier ou d’une forêt sur le vin, les grandes propriétés ont pris l’habitude de multiplier les origines.
Grâce aux tannins, les arômes
Et dans le cigare ? Outre la nicotine, dont le chimiste Louis-Nicolas Vauquelin a montré l’existence dès 1809, la feuille de tabac contient sa dose de tannins. Lors de la combustion, ils se décomposent en dioxyde de carbone, c’est-à-dire en gaz carbonique, et en pyrogallol, lequel figure dans la classe des tannins éllagiques, déjà rencontrés dans les élevages sous bois des vins. Ce n’est pas un hasard, car pour pouvoir cintrer les douelles et en faire un fût, il faut les chauffer fortement. Tout comme dans les vins élevés en fûts neufs, les arômes qui se dégagent lors de la combustion d’un cigare sont d’une grande complexité : vanille, boisé, épices, clou de girofle, brûlé, suie, poivre, œillet, amande grillée, café, noisette… S’ils peuvent paraître astringents et amers au néophyte, les tannins sont à la fois porteurs de bons polyphénols et sources de merveilleux arômes. Et font toute la richesse d’un grand vin ou d’un beau cigare.
Vous devriez aimer aussi
Numéro en cours
L'Amateur de Cigare n° 168 (octobre 2024)
Toute l'actualité du cigare directement chez vous